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Deuxieme Verticale de Bel Air Marquis D’Aligre

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Club toulousain In Vino Veritas

Deuxième verticale du château Bel Air-Marquis d’Aligre

Margaux Grand Cru Exceptionnel

Vendredi 1 février 2013

La dégustation, préparée par Didier Sanchez, est commentée par Pierre Citerne.

Quelques commentaires de contexte

Une première verticale a déjà eu lieu en avril 2010 : 2004, 2003, 2001, 2000, 1999, 1998, 1996, 1995, 1990, 1986, 1985, 1970, 1961, 1959, 1947.

2010-04-02 Verticale du chateau Bel Air Marquis d’Aligre

Toutes les bouteilles proviennent du château, un grand merci à M. Boyer ! Elles ont été placées dans une cave de service, à température adaptée, verticalement, 20 jours avant notre rendez-vous.

Cette dégustation s’est déroulée en une seule séance : le soir à 19h30.

Les bouteilles ont été ouvertes à 17h.

Les vins sont dégustés du plus jeune au plus vieux, sans présentation à l’aveugle, par série de 3 ou 4 vins.

Chaque dégustateur possède 7 verres ce qui permet d’aérer les vins (qui en ont très souvent besoin), au minimum 30 minutes par série.

Les verres utilisés sont les « Expert » de Spiegelau.

DS : Didier Sanchez – PC : Pierre Citerne – LG : Laurent Gibet – PR : Philippe Ricard – MS : Miguel Sennoun – MF : Maxime France –  FM : François Martinez.

Intéressant à savoir…

M. Boyer a participé aux millésimes 47, 48 et 49 avant de vinifier son premier millésime tout seul en 1950.

L’usage du bois (très vieilles barriques…) a eu cours jusqu’à la fin des années 50.

Fin des années 50, apparition des premières cuves béton.

Fin des années 60, disparition des barriques. Quoique, pour être précis, pas tout à fait : il reste 5 à 8 barriques (de très vieux bois…) qui récupèrent les surplus… Par contre, à chaque soutirage, les vins sont systématiquement remélangés.

Quant à l’essai des barriques neuves, il n’a été fait qu’une seule fois au cours d’un millésime des années 60 ; sans suite…

Ordre de dégustation

(Nombre total de dégustateurs : 13)

1. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 2005

DS17,5+ – PC16++ – PR19+ – LG16,5+ – MS17+ – MF(17) – FM17. Note moyenne : 17,1+

En pleine phase de fermeture. Teinte soutenue, brillante, dense, jeune, comme du sang frais. Nez distingué mais revêche, sur son quant-à-soi, évocation compacte de choses sombres, profondes, puissantes, serrées, de fruits noirs, de noyau, de graphite… Matière tannique, droite, stricte. Maturité, fraîcheur et qualité de fruit : tout est parfaitement architecturé, en attente.

2. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 2000 

DS16,5 – PC? – PR16,5 – LG(16) – MS(15,5) – MF15,5/16 – FM15,5. Note moyenne : (16?)

Robe fournie, déjà marquée par l’évolution ; le contraste avec celle du 2005 est puissant. Nez ample et chaleureux, notes classiques de maturité : tabac et fruits rôtis, poussière aussi. Quelque chose entrave l’expression, au nez comme en bouche ; la matière se déploie large et puissante mais il y a une petite sécheresse dans les tannins, un déficit de cohérence. Cette bouteille est loin de refléter l’éclat habituel du 2000.

3. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1998 

DS17,5/18 – PC17 – PR18 – LG17 – MS17 – MF18 – FM17. Note moyenne : 17,4

Robe délicate, particulièrement translucide. Bouquet formé et séduisant, caractéristique, grand raffinement floral, tabac blond, miel… Bouche tendre, sapide, nuancée, végétalité fine intégrée à la douceur et à la fraîcheur du fruit. Élégance de bout en bout, vin charmant et plein de verve.

4. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1995 

DS16 – PC? – PR15,5/16 – LG16,5 – MS(15?) – MFED puis 15,5 – FM15. Note moyenne : (15,6?)

La robe semble assez évoluée. Un premier rideau de senteurs disgracieuses (liège, TCA, carton, cendres de cigare ?…) dénature l’expression aromatique ; il finit par se dissiper à l’aération. Le vin alors se métamorphose, il retrouve de l’entrain et une vraie distinction, mais conserve une texture grenue, un peu sèche, qui contraste avec la suavité du fruit. Décidément un millésime bien difficile à cerner…

5. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1989 

DS17,5 – PC17 – PR17 – LG17 – MS17 – MF17,5/18 – FM17,5. Note moyenne : 17,3

Teintes chaudes nuançant la robe, qui commence à se dépouiller. Très beau nez chaleureux, balsamique, grande finesse et sensation de proximité du fruit malgré un côté solaire, passerillé (évocation de raisiné). Saveur fondue, souple, suave ; là aussi la chaleur du millésime est perceptible – plus par une tension « caniculaire » en milieu de bouche, que dans finale, qui ne présente pas la sécheresse tannique des 2003 ou 1976 – sans que l’élégance du cru en soit amoindrie.

6. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1983 

DS18 – PC17,5 – PR18,5 – LG17 – MS17,5/18 – MF18,5 – FM18. Note moyenne : 17,9

Mûr, velouté et flamboyant, un millésime complet qui s’exprime avec générosité et profondeur. Tourbillonnants arômes confits, truffés, viandés, soutenus par une volatile assez marquée. Texture très agréable, finement pulpeuse, douceur et suavité enrobant parfaitement la nécessaire vigueur tannique ; allonge sereine portant loin la saveur puissante et distinguée du vin.

7. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1981

DS17 – PC16,5/17 – PR17/17,5 – LG16,5/17 – MS17 – MF17 – FM17. Note moyenne : 17

Belle robe au dégradé marqué, comparable à celle du 1983. L’expression aromatique est en revanche bien différente, nettement moins mûre, fumée, tourbée ; une peu âcre, elle évoque les feuilles sèches, le fumier de cheval, la poussière… Matière bien en place, droite, pleine, tannique, de belle longueur, qui finit sur une austérité fumée sans facilité mais pleine de caractère. Comme un Pessac sans moelleux.

8. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1979 

DS17,5 – PC18 – PR17 – LG17,5 – MS17 – MF18 – FM18,5. Note moyenne : 17,6

Présentation magnifique, lumineuse, au pouvoir suggestif étonnant, du moins en ce qui me concerne : selon la lumière rouge comme Robert d’Artois ou roux comme un écureuil… Dès la première approche le nez se montre pur, dessiné, aérien ; grande netteté de fruits apaisés, comme détourés par le temps hors d’une gangue plus grossière, évoluant vers diverses suggestions de bois précieux. La bouche prolonge ce profil très représentatif de la finesse structurelle et de l’élégance aromatique du cru. Sapide, précis, aérien, avec une ombre réglissée qui reste sur la langue comme un beau souvenir.

9. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1978

DS16,5/17 – PC16 – PR16 – LG16,5/17 – MS16 – MF16,5/17 – FM17. Note moyenne : 16,5

Robe un peu plus sombre et chargée que celle du 1979. L’expression aromatique est terrienne, organique, pointue (acidité volatile) et légèrement poussiéreuse. Dense, riche, long en bouche, avec une finale tannique légèrement grumeleuse. Un vin qui a encore beaucoup à dire, qui à l’image du 1995 s’épure considérablement en s’aérant, même si cette bouteille n’atteint pas des sommets de finesse ni d’élan.

10. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1973

DS16,5/17 – PC16 – PR16,5 – LG16,5 – MS16,5 – MF17 – FM17. Note moyenne : 16,6

La robe est encore étonnamment présente, l’assise aromatique aussi ; le millésime est pourtant réputé faible, délavé. Un bouquet tendre, frais, développant des notes de confiture un peu alanguie, de caramel au beurre, de café au lait. Tendresse également en bouche, sapidité aussi, belle présence, même si la structure se fait plus que discrète. Le fruit remonte dans le verre à l’aération, en vie, et même en verve !

11. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1971 

DS17 – PC16,5/17 – PR17,5 – LG17 – MS16,5 – MF17 – FM17. Note moyenne : 17

Robe brunie, dense, mate. Un nez très différent de ceux rencontrés jusqu’à présent, exubérant, plus castelpapal qu’aquitain : agrumes confits, thym, raisiné, cuir et jus de viande comme évocations… Bouche très concentrée, de belle prestance bien qu’un peu relâchée, image d’un été indien sénescent. Impression de sucrosité, indéniable caractère solaire, texture veloutée, beaucoup de puissance et de saveur, et finalement de plaisir !

12. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1970 

DS17,5 – PC17,5 – PR17,5 – LG17,5 – MS17,5 – MF17,5 – FM17. Note moyenne : 17,5  

Robe profonde, mate, encore jeune. Beaucoup d’ampleur et de puissance fruitée, impression de grande maturité – fleurs lourdes et raisiné – équilibrée par des notes plus aquitaines, dont la « végétalité », des notes évoquant la mousse, les résines, le miel, le camphre… Bouche moelleuse, sensualité du fruit aiguillonnée par une acidité bien en avant, volatile ce qu’il faut pour exacerber l’expressivité sans durcir le déroulé. Assez proche finalement du 1971, par sa richesse, son caractère solaire, mais d’esprit plus classique, moins débridé et plus construit.

13. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1962

DS18,5 – PC18,5 – PR18 – LG18 – MS18,5 – MF18,5 – FM18. Note moyenne : 18,3

Robe nettement dépouillée, orangé dominant. Extraordinaire séduction dès le premier coup de nez, mélange excitant de fruits encore très frais, framboises, fraises des bois, à peine chauffés, et d’organicité prenante, scatol, indol, quand le fumier devient atour… Magnifique toucher moelleux et raffiné en bouche, richesse et douceur, plénitude aérienne prolongeant des saveurs en parfaite correspondance avec les beautés olfactives de ce vin. Millésime de pulpe.

14. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1961 

DS18,5/19 – PC18 – PR19 – LG18,5 – MS19 – MF18,5/19 – FM19. Note moyenne : 18,7

Robe proche de celle du 1962, avec davantage de vivacité. Grande présence aromatique, bouquet éthéré et profond à la fois, ambiance captivante de cuirs rares et de vapeurs balsamiques… Encore ramassé en bouche, très puissant, acidité marquée, impression de salinité. Millésime d’extrait sec, on sent la présence physique de la peau et des pépins. Je le salue bien bas, mais je reste, peut-être à tort, encore sous le charme plus gracile du 1962.

15. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1959 

DS17,5/18 – PC17 – PR17,5/18+ – LG17 – MS17 – MF17 – FM17. Note moyenne : 17,2

Étonnante robe sombre, au centre encore noir. Expression de fruits noirs, fougueuse, virulente ! Évocation fugace de porto, notes de torréfaction, lactiques… tout ça se stabilisant sur une puissante évocation de moka… Matière très riche en alcool comme en extrait sec, solaire, sans aucun signe de fléchissement, mais (pour l’instant !) sans la finesse ni les insaisissables nuances des millésimes les plus évocateurs. Impression finale de pain grillé et de café, un vrai petit-déjeuner que cet unique Bel Air-Marquis d’Aligre noir…

16. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1955

DS17 – PC17 – PR16,5 – LG16,5 – MS(14,5) – MF16 – FM16. Note moyenne : 16,2

Grande finesse aromatique, sur un fond plus végétal, tapis de feuilles mortes, prenantes notes de bois précieux, de cuirs, de truffe… Matière dominée par la vivacité, vivante, distinguée, au grain tannique marqué mais fin, au fruit plus resserré que court, même si la finale marque une certaine amertume.

17. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1948

DS18,5 – PC19 – PR19 – LG(16) – MS19 – MF19 – FM19,5. Note moyenne : 18,6

Avec les millésimes des années 1940 on pénètre dans un registre différent. Des robes de vieux vins, lumineuses quoique légèrement voilées, des nez se rapprochant de vieux alcools par leur incroyable richesse de nuances boisées, balsamiques, épicées, « orientales ». Les senteurs du 1948, poussés par une puissante acidité volatile, inondent les sens. Que retenir ? Exotisme d’un vieux rhum, bois de santal, rose fanée et quelques souvenirs de gibier… Matière veloutée, patinée par le temps, satinée, riche, campée sur une acidité qui reste du bon côté, qui exacerbe sans durcir. Sublime finesse. Tout ça ne peut exister que parce que le fruit, cœur et cerveau du vin, est encore vibrant.

18. Margaux : Château Bel Air-Marquis d’Aligre Grand Cru Exceptionnel 1947 

DS19 – PC19/19,5 – PR20 – LG18 – MS18,5/19 – MF19,5 – FM19. Note moyenne : 19,1

Même impact émotionnel et même profondeur que le 1948. Parfaitement vivant et précis dans ses arômes, finesse épicée, rancio complexe de grand rhum ou de grand cognac (mais pourtant pas de caractère « oxydé »). Intensité de matière encore supérieure, vibration du fruit, finesse de grain, aristocratique évidence, tourbillon de saveurs…

Conclusion

Un vin que l’on devrait prescrire comme antidote à la vulgarité de notre temps. Un vin, des millésimes, des personnalités diverses qui affirment leur supériorité comme une évidence, sans jamais la claironner. Moments précieux passés en leur compagnie, dans la même ambiance pétillante et sérieuse que la première verticale (certains vins permettent en effet le rapprochement des deux états d’esprit, le festif et le grave, ils sont rares), presque des retrouvailles…

Tous présentent une vitalité interne, une vibration remarquable, qui semble augmenter avec l’âge. Des vins aux expressions sereines mais changeantes, virevoltantes, ce qui peut parfois désorienter le dégustateur, qui devrait plutôt y voir une confirmation de leur qualité. Des vins pourtant évidents, mais qui se laissent difficilement enfermer dans les descriptifs, ou derrière les barreaux des notes chiffrées. Tout est entrelacé, aucune couture n’est apparente, ce sont plutôt des métaphores et des personnifications qui viennent à l’esprit pour tenter de les caractériser. On en ferait volontiers des allégories.

Monsieur Boyer avait parfaitement raison. Les millésimes moins réputés, ceux dont la Place, la critique, les amateurs n’ont pas beaucoup parlé, sont non seulement en pleine forme, mais parfois extraordinairement séduisants et aboutis. 1979, 1962, 1948 atteignent des sommets. Bel Air-Marquis d’Aligre est peut-être à son plus grand quand il est à son plus gracile ; les notions de densité, de puissance, d’intensité, s’évanouissant devant l’évidence de la finesse.